Auteur du texte ??
Cela fait plusieurs siècles déjà que le tir à l’arc au Japon constitue un des plus fidèle reflet de sa culture. Tout au long de son histoire où il est d’abord une arme de chasse et de guerre, l’arc revêt de multiples fonctions dans la société, il s’enracine dans la tradition, tels que les jeux de cours, les rituels, les tirs de cérémonies religieuses et les concours d’adresse le montrent. Cette culture est donc étroitement liée depuis l’aube de son histoire à ces humbles et nobles objets que sont l’arc et la flèche. Cela fait bien longtemps déjà que l’arc n’est plus considéré comme une arme mais la tradition guerrière et plus particulièrement celle des Samurais constituent une des racines du Kyudo moderne. L’influence de la culture chinoise en est une autre.
Le kyudo est souvent considéré comme la plus élevée de toutes les voies martiales. Les principes de son éthique reposent sur trois mots vérité (shin), bonté (zen), beauté (bl). Ces trois valeurs, que l’on retrouve chez Platon et bien d’autres encore sont universelles et l’on sait la grande difficulté qu’il y a à les saisir, les philosophes en débattent encore. Au Japon, l’arc est aujourd’hui au service de ces trois valeurs philosophiques. Mais la façon dont il les met en jeu ici est unique, la vérité, la bonté et la beauté sont mobilisées en acte, dans le tir lui-même.
Dans le kyudo, la Vérité est la réalité qui précède le tir. Lâchée, la flèche vole droit vers la cible. Dans la multitude des directions possibles de l’espace, une seule a été choisie, celle qui unit le bout de la flèche au centre de la cible. Si le coup rate, on ne s’en prend qu’à soi-même, découvrant ainsi que la vérité procède de l’échec. Si tel est le cas, ce dernier deviendra objet d’étude d’où s’apercevra l’erreur qui se révèle alors, riche d’enseignement. Ce n’est pas pour autant que la vérité apparaît révélée dans sa totale nudité, comme au temps de Platon elle s’avère toujours insaisissable. Car la vérité ne siège pas seulement dans le coeur de l’archer, elle se trouve aussi au-delà de lui-même. Pour rencontrer la vérité dans son extériorité, la vigilance est là aussi requise pour percevoir son caractère subtil, logé dans le moindre détail. Quelque chose de la vérité s’exprime en acte dans la réalité, comme en écho. La vitalité de l’arc que l’on nomme « yumi no Sae » vient exprimer le caractère clair, brillant voire tranchant et la netteté du tir. Le son de la corde au moment du lâché (tsurune), dont la résonance typique, tel un diapason qui vient traduire le tir juste. Le moment où la flèche atteint la cible (Tekichu) avec ce son caractéristique qui lui aussi varie en fonction de la qualité du tir.
C’est la recherche de la vérité en son for intérieur et de sa manifestation à l’extérieur constitue la profondeur de la voie. La valeur de Bonté mise en oeuvre dans le tir à l’arc japonais est â comprendre dans la dimension éthique. Elle repose sur le respect des lois qui en constituent l’étiquette (Rei). Cette discipline qu’impose l’observance des règles constitue le passage obligé pour qui veut découvrir la véritable profondeur du Kyudo. Cette tâche est bien difficile et exige de quiconque voulant y parvenir de dépenser sa peine sans compter. C’est l’écot à payer si l’on veut découvrir de nouveaux espaces de compréhension du kyudo, de soi-même et de son semblable. Elle permet en effet d’accéder à une maîtrise de soi, elle élimine les conflits.
Cette attitude d’observance de la règle produit l’idéal de ce que la pensée chinoise nomme «l’homme de vérité». Cet état d’esprit qui prend sa source dans le Confucianisme s’appelle en japonais « Heijoshin », état d’esprit ordinaire, de tous les jours, témoignant ainsi du calme, de l’équilibre, de la maîtrise de soi-même, de l’harmonie avec l’environnement. Se tenir dans l’état d’heijoshin en toute circonstance est extrêmement difficile. Il indique la nécessité de découvrir et de pratiquer un principe de régulation à usage ordinaire. La fonction que remplit « heijoshin » est fondamentale, c’est un principe de régulation des relations au sein du groupe, mais aussi de la relation envers soi-même qui vise à réduire toute négativité dans la relation à son semblable, toujours nuisible et source de troubles dans la pratique du kyudo.
Respecter l’étiquette, c’est agir avec courtoisie et respect, c’est être assuré de progresser dans la pratique du kyudo. D’où vient l’extraordinaire beauté qui émane du Kyudo? La Beauté produite par l’arc japonais tient d’abord à sa conception même. Elle réside dans l’asymétrie de l’arc et plus précisément dans ce tiers supplémentaire qui lui donne sa forme unique au monde. L’arc est élevé avec grâce, sans faire usage de la force, il s’abaisse ensuite lentement, prenant la pleine extension que l’archer lui donne dans une économie gestuelle qui fait son style. Ici, ce n’est pas la force qui domine mais l’esprit qui contrôle la pensée, conduit le souffle qui engendre le rythme (maai) et commande le mouvement, sobre, élégant, digne et serein. C’est ainsi que l’on peut atteindre le parfait équilibre entre la forme et l’esprit et c’est ainsi que naît l’harmonie.
L’état d’esprit que traduit « heijoshin » permet de garder la position juste qui est le point focal de la concentration, c’est ce que l’on peut appeler la centralité. Maintenir « heijoshin », c’est cultiver les qualités de la personne qui s’y exerce. Ce processus de transformation et de régulation qui opère sur quiconque décidé sérieusement à pratiquer le kyudo repose sur trois termes shin, gyo, so. Ces trois concepts sont extraits de textes chinois classiques.(2)
Nous avons déjà parlé de shin (3) qui veut dire Vérité. Il convient de prendre cette quête au sérieux et de s’y conformer en toute attitude, ce qui est fort difficile, car atteindre shin ne suffit pas, il faut ensuite le garder. Mettre en place cet état prend le temps puisqu’il s’agit de le maintenir en permanence. Il est difficile d’atteindre shin et il est facile de perdre shin. Il convient donc en toutes circonstances d’exiger de soi-même, c’est ce qu’implique l’observance permanente du Rei. Cette notion met en question au plus haut point le caractère authentique de l’implication de l’archer dans sa pratique. Lorsque l’intention intérieure est juste et l’attitude extérieure correcte, shin s’exprime avec grâce et élégance. Quelque chose se réalise lorsque heijoshin est maintenu, il se transforme en gyo. Gyo est la manifestation en extension de la Vérité, en acte. Gyo met en évidence le caractère ineffable de la Vérité. La vérité est ici sans parole.
2 Le traité des qualités morales (Shushin-non) et Le traité sur l’usage du corps » (Taiyo.ron)
3 Shin pensée, coeur et par extension vérité
/