Nous étions vingt-six personnes à Sylvain Les Moulins le week-end du 26-27 juin pour participer au stage LIFKT dirigé par Dominique Inarra Sensei et Terence Griffin Sensei.
Pour une bonne partie des participants, c’était la première fois qu’ils venaient à Sylvain et la découverte d’un dojo traditionnel situé dans la campagne normande, sur les rives de l’Iton, fut une source de ravissement. La France compte aujourd’hui quelques rares dojos de ce type et c’est à chaque fois un bonheur de découvrir un espace conçu et pensé pour le Kyudo dans le respect des standards traditionnels et entièrement dédié à cette pratique exigeante et belle. Celui de Sylvain se caractérise par de beaux volumes et une esthétique soignée jusque dans les kakemonos et calligraphies qui le décorent sobrement et sur lesquels nous reviendrons.
La journée du samedi débuta par un tir de Dominique Inarra Sensei suivi d’un Ite-Gyosha exceptionnel puisque 3 Kyudoka (Marie-Thérèse, Christine KTN et Catherine AKE) ont alors tiré leur première flèche à la cible. Puis l’enseignement fut délivré par nos deux senseï avec patience et attention. Les débutants ont travaillé à la makiwara, sur la pelouse. La chaleur inaccoutumée pour la Normandie changeait des températures hivernales que connaissent les pratiquants d’AKI et AKE qui viennent le dimanche. Celle-ci ne découragea pas un entraînement intensif centré sur le Tai-Hai et notamment sur la posture Tori yumi no shisei. Pas de bonne pratique du tir sans un Tai-Hai correct et le port de l’arc, debout immobile ou en marchant, témoigne aussi de la qualité de l’archer et de son entraînement. Rectitude des déplacements, des postures et attention portée au rythme donné par la respiration pour l’ensemble du groupe, font partie intégrante du tir. L’entraînement se prolongea tard le soir, jusqu’à 23h30 pour certains, témoignant de la motivation des troupes. Et surtout, ce fut pour tous l’occasion de profiter d’un magnifique clair de lune, d’une pleine lune rousse créant une atmosphère magique sur toute l’aire de tir.
Le dimanche, il neigeait ; l’air était empli des légers flocons cotonneux semés par les peupliers environnants, au gré du vent et se dispersant comme la neige, allant jusqu’à envahir le dojo. La séance s’ouvrit à 10heures après le salut, sur un commentaire de la calligraphie de Hakuin, célèbre Maître zen Rinzaï du 18ème siècle, affichée sur les murs du Dojo que Paul-Henri, notre distingué japonisant, nous traduit ainsi :
La Bonté est la maison dans laquelle l’homme trouve la quiétude,
La Morale est le chemin par lequel l’homme devient juste.
Il s’agit, nous expliqua-t-il plus tard d’une citation du Mencius sur les deux valeurs premières du confucianisme. L’homme idéal du confucianisme, porteur de ces valeurs, est appelé en japonais kunshi (chinois : junzi), généralement traduit par « l’homme de bien« , « le prince« . Dominique Inarra insista sur la signification de cette sentence à l’égard de la pratique du Kyudo conçue comme un chemin d’amélioration constante, basé sur l’effort, la persévérance et un esprit de bonté et d’ouverture aux autres, au-delà de la seule performance qui n’est pas le but ultime du Kyudo ; il conclut en nous encourageant à cultiver l’esprit du Kyudo et ses valeurs.
Nos deux Senseï procédèrent ensuite à un tir d’ouverture remarquable. Ayant planté le décor, ils nous invitèrent à un Ite-Gyosha au cours duquel trois kyudokas se distinguèrent pour la qualité de leur tir, ce qui leur valut de repasser devant nous tous pour apprécier leur technique (Maxime, David, Paul-Henri). Cet exercice n’est pas si facile en fait car il s’apparente au tir d’examen quand, sous l’œil avisé de spectateurs nombreux et attentifs, le kyudoka doit conserver son calme pour pouvoir réaliser ce qu’il fait de mieux. En cela, notamment, on peut dire du Kyudo qu’il est une école de la vie car les situations de la vie courante qui exigent que nous conservions la maîtrise de soi sont nombreuses et variées et l’exercice du tir est très formateur à cet égard. En effet, le tir associe étroitement l’individu immergé dans la perception intime de son corps et de son état d’esprit à une entité collective, le sharei, opérant dans un espace public devant des observateurs. Le rapport à soi, le rapport au groupe, le rapport à la cible et à son tir forment les trois angles de l’espace dans lequel évolue le kyudoka et dont il doit apprendre à maîtriser les règles et le bon usage pour harmoniser sa participation à un tout.
Le cours qui suivit cette phase d’Ite-Gyosha porta sur Daisan ; Daisan est un moment d’Hikiwake et nos senseï insistèrent sur la qualité du geste, il s’agit de pousser l’arc vers la gauche en pliant le coude droit simultanément, le mouvement est achevé quand la main droite est à un poing au-dessus du front. Notre groupe porta ainsi souvent la main au front jusqu’à épuisement, finissant par la laisser retomber avec soulagement pour aborder avec une énergie renouvelée la préparation de la table et du repas commun pris au centre du dojo.
Enfin restaurés et réanimés, nous entreprîmes l’après-midi de réaliser un Taikai. Auparavant, Jacques (AKE) a tiré sa première flèche à la cible, accompagné des autres débutants : évènement mémorable pour tout archer. Ces flèches volèrent vers les matos et nous les applaudîmes dans l’espoir qu’elles inaugurent de nombreuses autres flèches, toujours meilleures et toujours sincères.
Le Taikai qui suivit mit aux prises cinq équipes de cinq tireurs et une de trois autour de nos deux senseï. Douze flèches furent le tarif appliqué et nous tournâmes tous trois fois devant les cibles, avec un esprit concentré et appliqué. Las ! La réussite fut bien inégale et je réussis pour ma part à éviter la qualification de l’équipe des senseï qui m’avait associé, témoignant, outre d’une grande maladresse, d’une solidarité sans faille à l’égard des équipes constituées par mes petits camarades. Nous eûmes ainsi à départager deux équipes qui s’étaient brillamment illustrées au long de ce Taikai dans un tir ultime où la première flèche dans la cible à l’issue du passage infructueux du premier sharei permit de les départager ; moment de tension puis de joie, partagée par tous. Le partage individuel entre nos tireurs ayant eu le plus de réussite, Terence et Paul-Henri, se fit aussi sur la première flèche. Après le tir de Paul-Henri, Terence, souverain, plaça sa flèche dans la cible. Dominique saisit l’occasion pour nous faire observer qu’un « vieux briscard », quand il a repéré une opportunité, ne la laisse pas échapper. Ainsi, ces Taikai, très démocratiques dans leur formule, mettent parfois aux prises un Renshi et un premier dan dans un esprit de parfaite égalité devant la cible. Ce jour-là, l’un et l’autre furent brillants et inspirés.
Cette belle journée cotonneuse prit fin avec le salut et l’exercice de suivre des yeux un flocon pour percevoir le regard de neige dont parle le Manuel de Kyudo.
Quelle chance de pouvoir pratiquer dans un beau dojo traditionnel, d’apprendre directement des senseï et de passer ensemble, dans un esprit amical d’effort individuel et collectif, une belle journée de Kyudo !
François Cavalier